Août 2021 Réseaux sociaux vie privée

Sortir des réseaux sociaux : un retour d’expérience

Vous y avez probablement toutes et tous déjà pensé, mais n’avez jamais osé franchir le pas. C’est arrivé que vous désinstalliez une ou deux applications, mais désactiver définitivement un compte : ça non. Vous avez peur, peur de disparaître dans notre société du tout numérique. Facteur aggravant : au sortir de ces temps de confinements et de restrictions des interactions sociales (ou d’un retour vers ces dernières, who knows?), vous avez senti l’importance de garder du lien, même numérique. Mais peut-être, également, y avez-vous discerné le caractère futile et impersonnel.

Je suis le fondateur d’Observantiae et l’initiateur du Réseau Observantiae. Cette entreprise s’occupe principalement de mettre en place des conseils et accompagnements dans le domaine de la Protection des données personnelles. Mais ici, nous ne parlerons pas business, mais usages. Que se passe-t-il APRÈS la déconnexion des réseaux sociaux?

J’ai désactivé, à ce jour, tous mes comptes sur tous les réseaux sociaux propriétaires, sauf LinkedIn (Business oblige), je parle donc en connaissance de cause.

Je vais vous raconter tout ce qu’il se passe une fois que vous avez fait le choix de sortir de tout ça, de la sensation de manque à la reconfiguration partielle de votre vie.

Tout d’abord, quelques éléments biographiques pour préciser mes motivations. Je n’ai pas toujours été un « ayatollah » de la vie privée et du RGPD, loin de là. En réalité, et jusqu’à la fin des années 2010, j’étais plutôt l’inverse :

– J’ai fait des vidéos Youtube

– j’ai créé plusieurs évènements publics qui ont un peu marché : ceux qui me connaissent un peu se souviennent des Shabadan ou des manifestations de soutien à la suite aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher

– J’étais un grand fan d’évènements numériques conviant le plus d’amis possible chez moi dont, parfois, plus de 50 personnes dans 50 m² (en temps de covid, ça me laisse encore rêveur)

– Toutes mes photos de vacances partaient sur Facebook

– Je publiais pratiquement tous les jours

– J’avais plus de 850 « amis »

– J’ai noué et brisé des amitiés lors de débats en ligne, et j’ai lutté comme beaucoup contre les trolls

Et je vous épargne Twitter.

A titre d’information contextuelle supplémentaire, pour situer en partie la catégorie sociale dans laquelle j’évolue, je suis citadin trentenaire d’une grande ville Française et j’ai la chance de disposer d’une vie sociale et professionnelle plutôt active.

Bref, un bon gros « Génération Y » ultraconnecté qui pensait en premier lieu à publier tout ce qu’il voyait parce que c’était « cool », parce que le « like » semblait faire du bien à l’égo (en réalité, c’était l’inverse), et pour avoir une vie sociale épanouie (le croyait-il?).

Je vous épargne le laïus sur les motifs de ma déconnexion de tous ces espaces propriétaires (je fais un minuscule inventaire des avantages dans mon dernier chapitre). Si vous me connaissez, me suivez sur LinkedIn (qui est le seul réseau social propriétaire que je conserve) ou le blog d’Observantiae, je pense que tout y est à peu près dit.

Je vais donc, sans plus attendre, vous expliquer ce qu’il se passe avant, pendant et APRES votre déconnexion. En tout cas, ce qu’il s’est passé pour moi.

1. Préparer la déconnexion

Tout d’abord : comment mettre ça en place ? Mon idée fut de faire un grand message précisant à toutes celles et ceux que les algorithmes de la plateforme permettaient de voir mes publications (eh oui, au cas où vous ne le sauriez pas, seule une informe minorité de vos contacts théoriques voient passer votre statut sur leur fil) que je quittais les réseaux sociaux 7 jours plus tard. Un engagement « public », comme on dit, pour m’inciter à la cohérence et à récupérer le plus de contacts avant le clap de fin.

Pendant ce délai, mon challenge fut de récupérer toutes les infos possibles sur les contacts dont je tenais le plus, notamment (sic) les dates d’anniversaire (qu’on a pris l’habitude de ne plus retenir en attendant la notification de ces dernières).

Bien évidemment, autre point important : je suis également allé récupérer ma vie numérique passée (notamment les photos) : demande d’accès à mes données personnelles pour télécharger tout ce que l’on voulait bien me donner (il va de soi que Facebook, pour ne citer que lui, dispose de beaucoup lus d’informations que ce qui est fourni à ses utilisateurs, même en cas de demande). Cette histoire numérique, c’était plus de 10 ans sur les réseaux (donc quelques Go).

Des proches se sont opposés à ma décision, prétendant que j’allais « disparaître ».

Se répéter un mantra : « tenir bon ».

2. La déconnexion

Ça y est, le jour J est arrivé. C’est le moment d’appuyer sur « désactiver le compte ». Pincement au cœur, puis lancement de la démarche. A ce moment là, la plateforme vous envoie deux messages culpabilisants :

– Vous allez manquer à vos amis. Là vous pensez immanquablement à votre famille, par exemple, que vous ne prenez jamais assez le temps d’appeler. Il faut se rappeler, à ce moment-là, que la contrepartie sera de leur parler vraiment.

– Vous disposez d’un mois pour changer d’avis, ce qui vous laissera bien le temps de céder une nouvelle fois à votre addiction. Vous pouvez, voire devrez probablement penser : « Finalement, qui vous jugera si vous renoncez à votre projet ? » ou « Et puis, c’est quand même des outils pratiques, il suffit juste de savoir se restreindre, non ? »

Après la lecture de ces messages culpabilisants, il faudra vous rappeler que vous avez déjà essayé de limiter vos usages, et que ça n’a pas marché : toute cette industrie numérique a été construite sur la séduction afin que vous y passiez le plus de temps possible (1h30 par jour d’après les statistiques en ma possession). Vous êtes donc bien démuni, petit humain connecté plein de bonne volonté, pour y résister et vous restreindre. Allez, avouez-le, de vous à votre écran d’ordinateur/smartphone/tablette (personne ne vous jugera, car pratiquement tout le monde est dans le même bateau).

Petite question « personnelle » à ce stade :

Cette ultraconnexion vous rend-elle heureu(se)x ou dépendant(e) ? Les liens que vous y tissez ont-ils réellement une valeur ? Êtes-vous sûr(e) que, si ils/elles le pouvaient, vos 850 ami(e)s viendraient vous aider à déménager ?

Bref, passons : on clique pour supprimer son compte, on désinstalle l’application et on se déconnecte du site… bienvenue dans le monde d’Après.

3. Ça y est, plus rien

Vous êtes déconnecté, ça y est. Redécouverte de la vie sans « publis » : ce que vous vivez est pour vous (à quelques MMS et messageries numérique auprès de vos ami(e)s près).

C’était une chose de faire partie des premiers dans les réseaux sociaux, et c’est autre chose de faire partie des premiers à y être absent. Bravo ! C’était courageux. Vous avez pratiquement fait le plus dur, maintenant ce n’est plus que de l’endurance.

En premier lieu, ce qui vous marque, c’est un immense silence. Vous ne disposez plus des dernières polémiques à la mode et vous redécouvrez le temps long. Vous vous réappropriez votre vie. C’est perturbant, pratiquement « mystique ». Vous ne vivez plus en miroir d’un public, mais uniquement face à vous-même. C’est ce qu’ont fait la plupart des humains pendant des dizaines de milliers d’années.

Vous vous rendez compte que, lorsque vous vous connectiez, l’habitude et l’addiction faisaient que vous vous sentiez un peu « à la maison » lorsque vous dérouliez votre fil. Maintenant, c’est votre vraie vie physique, et non numérique qui définit ce que vous êtes et ce que vous faites.

Vous pouvez être amené à faire un constat glaçant : votre vie est bien moins excitante que vous ne le pensiez en la publiant. Mais a minima vous ne vous comparez plus, ce qui lui donne au fur et à mesure des jours plus d’attrait.

Lorsque vous voyez des choses intéressantes et que vous voulez partager des photos ou des liens internet, vous le faites via MMS ou, plus pragmatiquement, sur Signal ou Telegram (idéalement pas Whatsapp, car Whatsapp c’est Facebook, pour rappel).

Vous constatez également, et c’est une bonne surprise, que vos interactions sont bien plus efficaces par texto que sur les réseaux ! Hé oui, ce qui est plus personnel… est plus engageant

Vous n’existez plus d’après les autres mais d’après vous-même, et ce que vous faites n’engage que vous. Sans le savoir, vous avez redécouvert une certaine liberté d’esprit et d’action.

La liberté, paradoxalement, ça fait toujours peur. Tout le monde n’est pas conçu pour la liberté, du moins à notre époque d’injonctions permanentes des « effets de meute ». La liberté est quelque chose qui s’apprend, et qui n’est pas à la portée de tou(te)s sans préparation. Cette liberté que vous devez apprendre « sur le tas » est un trésor qu’il s’agit de conquérir.

En clair, de base, vous avez l’impression de vous « emmerder GRAVE ». Un moment d’inactivité que vous meubliez auparavant en lançant votre appli (comme griller une cigarette), vous devez l’utiliser autrement, et de base on ne sait plus très bien quoi faire (d’autant que vous avez peut-être, comme beaucoup, désappris à lire des mots qui ne sont pas sur un écran et qui nécessitent de la patience et de la concentration à LONG TERME, i.e lire un livre).

4. Tenir le premier mois

La tentation de revenir sur sa décision est énorme tant que vous n’avez pas passé le mois d’attente de clôturation de votre compte. Étant, quoique vous en pensiez, non préparé à affronter cette liberté et ses plages d’inactivité, vous êtes tenté de revenir comme si de rien n’était sur vos applications.

Vu que vous devenez plus productif que la quasi totalité de vos collègues, vous réalisez, peut-être, que vous pouvez finir votre travail quotidien à 16h. Du coup il faut lutter contre la volonté de partir, sachant qu’encore aujourd’hui beaucoup de managers demeurent plus sensibles au présentéisme qu’à la productivité. Vous restez en poste, et c’est une véritable torture.

Vous constatez également que certaines personnes vous oublient parfois sur leurs évènements (anniversaires, pendaisons crémaillères ou autres). Le recours au message ou à l’invitation personnelle est devenu tellement rare que vous avez peur de « disparaître », et de donner raison à vos proches qui vous « alertaient ». Je me permet d’insister sur ce point : c’est une illusion. Les personnes qui tiennent à vous ne vous oublieront pas, que vous soyez ou non sur les réseaux. Gardez des liens forts avec les amis dont vous voulez rester proche. Appelez, rencontrez-vous, envoyez des textos, créez des groupes Signal ou Telegram (ou Matrix pour les plus geekos), les options sont variées pour maintenir des liens sociaux.

Quoiqu’il en soit, c’est une période difficile : le temps passe lentement lorsque l’on sait qu’à un « clic » près, tout peut redevenir comme avant. Un seul tout petit clic… allons… qui vous jugera ? Et pourquoi vous infligez-vous cette souffrance, finalement ? Cela en vaut-il vraiment la peine (oui) ? Vous voyez le parallèle avec l’arrêt de la cigarette (oui, c’est PAREIL) ?

Bref, vous comptez les jours. Si vous arrivez à tenir jusqu’à la fin du mois, votre profil n’existera définitivement plus. Vous aurez gagné car il sera, à ce moment-là, bien moins tentant de recréer un compte en partant de 0.

Je vous le confirme : votre choix était le juste. Il faut juste tenir encore un peu pendant ce mois.

5. Le monde d’après

Pour les geekos :

Par souci de cohérence avec vos actions, vous êtes probablement parti sur l’idée de privilégier le libre, où du moins des outils informatiques sortant du registre des grands acteurs du numérique (GAFAM et consorts).

Du coup vous avez, avec succès ou non, tenté de convertir vos relations à privilégier Telegram ou Signal par rapport à Whatsapp, à utiliser plutôt Magic Earth ou Open Street Map par rapport à Google Map, Mastodon par rapport à Twitter, F-Droid par rapport au Play Store…

Les ultra motivés sont même allés jusqu’à modifier leurs smartphones pour installer des solutions libres comme Lineage OS, /e/ OS voire Graphène OS. C’est bien plus simple qu’il n’y paraît, et vous trouvez de bons tutos partout.

Il est absolument certain que vous avez, au mieux, réussi à convertir une infirme minorité de vos proches à votre nouvelle hygiène numérique. Mais ce n’est pas grave, tout le monde n’est pas obligé de vous suivre. Vous êtes, quoiqu’il en soit, joignable au travers d’une grande diversité d’outils.

Pour tous :

Ce retour à ces modes « primitifs » de communication, « so 2004 », va de soi pour vous, mais pas forcément pour vos relations. Donc il faut que vous soyez à l’initiative de la prise de contact, du moins pour les accoutumer, dans un premier temps. Mais je vous rassure sur un point, à moins d’être entouré de personnes de mauvaise foi : ça marche ! Ne soyez pas étonné, mais il est possible (voire même probable) que vous en inspiriez certain(e)s !

Je vous rappelle ce fait étonnant qui est également l’un des premiers éléments positifs que vous constaterez : vous obtenez de meilleures réponses à vos questions par texto qu’avec tous les outils « ultramodernes » et « ultraconnectés-disruptifs » que vous utilisiez avant votre « mue ». Cela s’explique relativement simplement : vous vous adressez directement aux gens, et non à la cantonade comme si vos amis étaient des concepts interchangeables. Bref, vous êtes passé de « cher réseau » et « Salut à tous » à « Salut untel ». C’est plus long (du moins tant que l’on n’en a pas l’habitude), mais bien plus qualitatif, tant vos amis se sentent choyés par une telle personnalisation !

Vous constaterez également un autre évènement positif : votre vie sociale n’est pas amoindrie, loin de là. En fait elle s’est même renforcée, au travers du noyau des personnes pour qui vos liens avaient une réelle importance. Vous sortez toujours autant, et en prime vous n’avez pas la tentation de consulter des notifications toutes les 5 minutes.

Vous êtes moins « embrigadés » dans les dernières actualités à la mode, que l’on parle de pénurie de masque, de vaccin ou d’antivax, de fait divers, de clash politique de niveau CM2 comme nous en avons l’habitude depuis un certain nombre d’années ou autre. Vous n’êtes pas forcément le tout premier informé, c’est vrai. Mais ne vous en faites pas, il suffit tout simplement d’aller faire une petite recherche internet sur votre média favori pour rattraper vos lacunes, et de manière encore plus qualitative encore.

Quoiqu’il en soit, l’info du matin vous sera forcément transmise dans la journée par l’un de vos contacts, c’est mathématique.

6. Bilan et clap de fin

Vous avez gagné du temps : 1h30 par jour d’après les chiffres en ma possession.

Vous avez gagné de l’énergie : puisque vous vous « posez » moins passivement à dérouler votre fil.

Vous avez gagné de la vie sociale : vos relations avec vos proches redeviennent qualitative, réelles, concrètes et individuelles.

Vous avez gagné en sécurité : un compte avec beaucoup d’informations très personnelles doit être sécurisé au maximum. Or, si vous suivez un peu le nouvelles du secteur, les fuites de données sont légion sur les réseaux sociaux (toute vos publications, publiques et privées, sont-elles réellement sans risque pour vous?)

Votre vie privée est bien plus protégée : non seulement vous ne publiez plus d’informations potentiellement compromettantes, mais en plus vous vous êtes débarrassé d’applis truffées de pisteurs en tout genre.

Vous êtes plus écolo : car vous diminuez drastiquement votre pollution numérique, extrêmement émettrice de CO2.

Vous êtes plus serein et avez plus confiance en vous : vous perdez votre dépendance à la dopamine des notifications.

Etc.

Les avantages sont extrêmement nombreux, pour vous (d’abord), pour vos proches (ensuite) et pour la planète. Faites le test. Il ne vous faut qu’une seule chose pour y arriver : un premier pas. Une fois que vous vous serez lancé, vous ne voudrez plus jamais revenir en arrière (je me souviens avoir soutenu de nombreuses fois que je me recréerai un compte Facebook… finalement je ne l’ai jamais fait).

Pierre LOIR

Délégué à la Protection des Données externalisé certifié AFNOR (référentiel CNIL)

Fondateur d’Observantiae SARL