Parlons un peu de cette habitude prise par les entreprises de pratiquer, parfois à grande échelle, l’externalisation de leurs services. Dans un monde qui s’est éminemment complexifié, que ce soit en techniques ou en compétences requises pour les maîtriser, il est plus que naturel de rechercher rapidement, hors de l’entreprise et de ce qu’elle peut facilement gérer, la réponse aux questions que l’on se pose.
L’exemple de l’externalisation du site Web
La libération (partielle) de la création d’entreprise, sponsorisée et idéalisée, est difficile voire impossible sans passer par la création de sites Web, et la diffusion régulière de contenus pour exister sur les plateformes et moteurs de recherche.
La création d’un site Web demande de nombreuses compétences :
- Techniques, même en passant par un CMS ludique tel que WordPress
- Design, car tout le monde n’a pas le concept expérience utilisateur (UX) ancré dans sa chair
- Juridiques, pour savoir « quoi mettre où » : RGPD, mentions légales, bannière cookies, conditions générales de ventes, conditions générales d’utilisations…
- Sécurité informatique : pour ne pas se laisser pirater bêtement, la base étant de mettre en place la double authentification (ou 2FA).
Réponse facile et désengagée : externalisation en confiant à un tiers le soin de gérer « de bout en bout » la création et la gestion du site Web.
Réponse difficile et engagée : se former soi-même, ou recruter en interne une personne disposant de la compétence (ce qui peut être difficile à manager : en effet, comment juger le travail d’une personne dont ne comprend pas les bases ?)
L’exemple de l’externalisation du département juridique
Le Droit est complexe, et malheureusement peu de choses sont faites pour le vulgariser et le rendre appropriable par tous (ce qui est une grave carence de notre système éducatif, qui devrait lui laisser une place auprès du Français, des Mathématiques et de l’Histoire Géographie). Soyons justes, tout de même, car plusieurs sites sont connus pour offrir la connaissance aux personnes en réelle recherche, que ce soient le site service-public.fr (pour des questions généralistes), le site cnil.fr (pour tout ce qui est relatif aux données personnelles), les sites des grands syndicats (pour toute question relative au Droit du travail) … mais ces informations demeurent parfois trop fragmentaires pour être toujours exploitables.
De plus, il y a beaucoup de « types » de Droits parfois très différents entre eux : Droit des marchés publics, Droit social, Droit des affaires, Droit de la Propriété Intellectuelle… Autant de métiers à part entière, in fine.
Enfin, le Droit peut être sujet à interprétations liées au contexte, or les sites précités ne font parfois pas ou peu état (de manière facilement compréhensible, du moins) de la jurisprudence (les décisions du juge sur des points de discorde, notamment d’interprétation), ce qui est un véritable problème lorsque l’on se retrouve « hors des cases ».
Réponse facile et désengagée : externalisation par une multitude de cabinets de conseil qui vont gérer les doutes pour lesquels les équipes, non réellement juristes, vont se retrouver en difficulté.
Réponse difficile et engagée : former un juriste généraliste ou recruter un juriste, voire plusieurs juristes par spécialités gérées par un (ou plusieurs) responsable(s) juridique(s).
Les exemples ne manquent pas
Gérer un site, gérer ses contrats, gérer sa sécurité informatique, gérer son gardiennage, gérer son hôtessariat, gérer son standard téléphonique… Toutes ces missions constituent des métiers à part entière qu’il faut être capable de débrouiller en cherchant de l’aide et/ou idéalement en se formant soi-même.
La tendance est donc à l’externalisation, de même que la mondialisation se structure aujourd’hui comme une manière de découper le monde en pôles d’activités. Le blocage de cette douce mécanique en apparence bien huilée, si prévisible malheureusement, a entraîné le Monde dans un situation très problématiques durant la crise de la COVID-19 (qui est loin d’être résolue), notamment lorsque certains pays ont constaté avec effarement que des pôles parmi les plus stratégiques avaient été tout bonnement confiés quasi intégralement à des pays aux systèmes politiques bien éloignés des leurs.
Et les problèmes ne manquent pas
Ce qu’il s’est passé dans le monde durant la crise sanitaire est également quelque chose qui peut se passer à l’échelle de n’importe quelle entreprise systématisant l’externalisation : une difficulté de paiement, et c’est tout un secteur d’activité d’une entreprise qui peut se retrouver paralysé ; grèves, et c’est potentiellement la banqueroute, à terme, de l’entreprise ; cyberattaque de l’un des prestataires, et c’est non seulement un secteur mais également de précieuses données potentiellement stratégiques qui s’évaporent dans la nature (ou bien pire).
3 problèmes majeurs (au moins) sont à relever d’office lorsque l’on pratique l’externalisation :
- Déléguer à un tiers des missions auxquelles on n’a pas idée lui permet, pour peu que la concurrence soit faible ou qu’existe une entente entre ces derniers, de fixer des tarifs abusifs voire d’effectuer ses missions hâtivement, puisque mal contrôlées
- Externaliser signifie la nécessité de garantir la possibilité de payer de nombreuses entreprises, et donc un budget conséquent parfois aléatoire puisque potentiellement révisé régulièrement
- Diviser ses pôles en de multiples prestataire signifie multiplier les risques, puisque plus nous sommes nombreux à manœuvrer le bateau, plus nous sommes nombreux à pouvoir manquer à nos devoirs, d’autant qu’une entreprise fournissant un service n’a pas nécessairement les mêmes objectifs que l’entreprise qui souscrit à ses services
« Tout externaliser pour tout simplifier » est souvent vu comme une stratégie ambitieuse, simplifiant les plans d’action des entreprises. C’est notamment souvent l’argument massue de comités de direction composé de managers non techniciens, friands par conséquent de solutions « clef en main » faciles à mettre en place (mais aux « coûts cachés » qui se révèleront au fil de l’eau…).
C’est solution stratégique facile n’est malheureusement pas assez vue comme un désengagement parfois irresponsable faisant peser de sérieux risques sur l’entreprise et ses clients dès le moyen terme.
Pour des solutions cache-misères :
Certains se garantissent contractuellement en pensant être « protégés par le papier » :
- Par des NDA (clauses de confidentialité)
- Par des contrats aux annexes et clauses copiées collées infinies
- Par des CGA (conditions générales d’achat) qui ne seront jamais lues
- Par des lettres de mission aux termes parfois nébuleux lorsque le sujet est peu maîtrisé
Certains vont plus loin dans la complexité en consacrant une part conséquente des missions à des « reporting » exagérés, qui ne seront jamais lus hors contentieux, sur des notions qui ne sont, quoiqu’il en soit, pas comprises par les demandeurs de ces dernières. De plus, ces « reporting » créeront de la « charge en jours/hommes » supplémentaire qui sera promptement facturée (ce qui double parfois certains tarifs).
Il y a aussi l’idée très onéreuse de doubler l’externalisation des prestataires pour qu’ils se contrôlent entre eux (le terme consacré : faire du « bi-sourcing »), ce qui crée non seulement un budget décuplé mais également une possibilité d’entente entre ces derniers pour « faire bloc » face au client et se répartir les gains.
Et enfin, il y a l’idée que l’on pourra toujours engager la responsabilité contractuelle du prestataire par la suite. Nous en arrivons à de telles extrémités dans cet ultime point que certaines entreprises se permettent de s’entendre au niveau de la facturation pour prévoir les procès ultérieurs, sur des missions d’office trop ambitieuses ou lancées sans convictions de réussite.
C’est quelque chose que j’ai souvent vu, malheureusement, au sein de certaines administrations publiques : le Droit des contrats des marchés publics étant d’une complexité telle que seule une poignée d’acteurs se connaissant souvent bien peuvent prétendre être candidats à l’externalisation, ce qui amène nécessairement des problématiques de conflit d’intérêt dont nous ne parlerons pas ici.
Y-a-t-il de vraies solutions ?
Les alternatives à l’externalisation sont très nombreuses, mais heurtent la tendance « move fast and break things » de la pâle copie des US que constitue la « Start-Up Nation » française.
Tout d’abord : grossir bien. Lorsque l’on lance un projet, se poser tout d’abord les questions « sommes-nous forcés de passer par l’externalisation ? Est ce que nous sommes véritablement incapables de le gérer en interne ? » A ces questions peuvent en partie répondre des prestataires pour aider à ce choix stratégique. C’est plus léger qu’un accompagnement sur le long terme, et cela peut aboutir à une conclusion réfléchie : oui, nous pouvons y remédier avec nos propres salariés.
De même : grossir mieux. Ne pouvons-nous, vraiment, pas recruter directement une personne capable de « faire le job » ? Une personne qui rentre dans l’entreprise et en acquiert la vision, l’intérêt est les objectifs fondamentaux… ce qui n’est pas forcément le cas en situation d’externalisation. Non seulement vous gagnez en expertise, mais au niveau social vous créez un emploi, pendant une période qui en a cruellement besoin.
Enfin, grossir intelligemment. Lorsque l’on a une vague idée stratégique et technique d’un sujet, on a parfois tendance, même en groupe d’« experts », à choisir l’action que l’on souhaite entreprendre en fonction de nos biais cognitifs. Combien d’entreprises ont choisi de passer sur « une super plateforme » (qui ne sera jamais utilisée), sur un « super standard de prospection » (en violation totale du RGPD qui entrainera des problèmes ultérieurement), ou une « super équipe sécurité » (mais composée principalement de commerciaux sans réelle compétence technique) ? Ils est donc impératif d’être capable de raisonner en « sortant du cadre » de ses idées préconçues : l’un des excellents moyens pour y parvenir étant de se faire aider par une personne extérieure et neutre, certes, mais surtout d’écouter sa base opérationnelle plus diverse dans ses approches qu’un comité d’experts « triés sur le volet ».
La tendance « boomer » des entreprises française a amené à un rétrécissement des ambitions (hors copies d’innovations en vogue), au rachat de start-up à prix fort pour pallier l’absence de réel département R&D, à des licenciements de masse et leurs conséquences indirectes, à un Droit du travail de plus malmené contraignant les rapports professionnels vers un désir d’évasion (par le chômage ou l’entreprenariat)…
Et nous en voyons le résultat : des entreprises moins compétitives, de plus en plus facilement démantelées ou rachetées par leurs concurrents, aux salariés de plus en plus malheureux (le distributeur de goyave et le babyfoot dans la salle de repos, que l’on ne s’y trompe pas, ne sont que des images « marketing » de « Great Place to Work ») dans une situation de crise sanitaire où la remise en cause du modèle incite d’avantage à la résignation, au départ et au désengagement.
Les entreprises doivent réapprendre le temps long. Ce n’est pas un développeur génial en externalisation qui, en quelques semaines, un fond d’investissement et de spéculation et quelques lignes de code, a créé le TGV ou le Concorde. Ce n’est pas un « copain avocat en Droit des affaires » qui a pu rédiger correctement les contrats de travail, le règlement intérieur et l’ensemble des documents des relations de travail d’une PME (le Droit des affaires, ce n’est pas le Droit du travail, même si c’est du Droit, de même que l’ingénierie, ce n’est pas la médecine, même s’il y a des maths !). Un restaurant n’est pas plein dès son ouverture (surtout en ce moment). Le développement d’une invention ne se fait pas sur un coin de table entre deux rendez-vous clients…
C’est une légende qu’il s’agit de rejeter, une légende hollywoodienne du tout, tout de suite, qui « disrupte le marché ». Cette tendance qui incite les entreprises à rechercher le rapide/pas cher « externalisation-libération » en perd beaucoup, dans le mirage d’un « solutionnisme rapide et génial » qui a pratiquement autant de chance de se produire qu’un ticket de Loto gagnant. En réalité, c’est encore une histoire d’olive : allez jeter un œil sur cet article.
Chez Observantiae, ce n’est pas notre idée. Pour donner un poisson à manger, nous voulons surtout permettre d’apprendre à nos interlocuteurs à pêcher par eux-mêmes. Au-delà de cela, ce n’est pas en tolérant une telle situation de démission généralisée que notre Société relèvera les grands défis de demain (qui arrivent en avance, au travers d’un pangolin).

DPO externalisé certifié AFNOR (référentiel CNIL)
fondateur d’Observantiae SARL et initiateur du Réseau Observantiae
