Lorsque l’on recherche un programme de formation, plusieurs termes s’entremêlent : sensibilisation, acculturation, enseignement, instruction et éducation. Mal employés, ils entraînent des confusions. Maîtriser leurs définitions est fondamental lorsque l’on envisage un réel impact sur le long terme auprès des salariés, étudiants et autres participants. C’est pourquoi nous allons les définir ci-après (définitions complétées par des sources), et y inclure nos idées.
Sensibilisation :
Action de rendre quelqu’un/un groupe sensible, réceptif à quelque chose pour lequel il ne manifestait pas d’intérêt (définition du Larousse).
Pour un organisme de formation, cela signifie interpeler des personnes totalement inconscientes d’un domaine nouveau pour elles. Il faut trouver les points d’accroche leur offrant le désir d’y consacrer du temps et de l’énergie par elles-mêmes. Le modèle typique de la sensibilisation est la conférence ouverte au public sans distinction. Dans le cadre de la protection des données, ce type de formation vulgarise ce que sont les traitements de données personnelles et les risques individuels et collectifs d’une utilisation non contrôlée de ces dernières.
Acculturation :
Ce terme est issu de la sociologie et désigne « l’ensemble des phénomènes résultant d’un contact direct et continu entre groupes d’individus appartenant à des cultures différentes, aboutissant à des transformations qui affectent les modèles culturels originaux de l’un ou de plusieurs groupes » (Memorandum on the study of Acculturation : Redfield, Linton et Herskovits).
Utilisé initialement dans le registre de l’immigration, l’acculturation se marie très bien aux formations d’entreprise lorsque ces dernières nécessitent de faire collaborer des groupes aux formations et codes différents. Dans le cadre de la protection des données, il s’agit de donner aux équipes la maîtrise d’un code commun pour, à titre d’exemple, faire collaborer intellectuellement le département juridique (juristes/avocats universitaires) et la direction des systèmes d’information (ingénieurs issus d’écoles)
Enseignement :
C’est le modèle le plus connu de la formation, qui est appliqué dans les écoles formant à un métier particulier. C’est la transmission brute d’un savoir applicable immédiatement pour des tâches bien précises.
Un cours de Droit social dédié aux clauses de non-concurrence des contrats de travail est un exemple type d’enseignement. Ce savoir transmis amène à une connaissance précise, directement applicable, et souvent non contextualisée : c’est la meilleure voie pour atteindre rapidement un objectif simple et clairement déterminé (prise de poste du nouveau DRH qui rédigera les contrats de travail). Pour la protection des données, par exemple, ce peut être une formation dédiée aux mentions types à implémenter sur un site internet.
Instruction :
Il ne faut pas confondre l’enseignement tel qu’il est pratiqué aujourd’hui avec le concept d’instruction de Condorcet dont le rôle est de transmettre le savoir minimal offrant à chacun la capacité minimiser la mystification dont il peut faire l’objet. Aujourd’hui, l’une des grandes mystifications qui « abusent les masses » réside dans les technologies de l’information et l’informatique dans un sens large, que tout le monde utilise sans en comprendre les mécanismes les plus courants (ce qui permet à de vastes propagandes du type Cambridge Analytica de prospérer, ou aux campagnes de phishing de toujours s’assurer un important succès). L’instruction doit transmettre une connaissance large offrant à la personne instruite les clefs pour établir ses propres raisonnements sans se laisser fourvoyer par des erreurs simples.
Elle dépasse le cadre de l’enseignement et offre aux personnes les connaissances pratiques d’une matière mais également la capacité critique de les remettre en cause, ou d’anticiper leurs évolutions.
L’instruction est, par conséquent, la méthode la plus « noble » des transmissions de connaissances, puisqu’elle ne se contente pas de sensibiliser ou d’offrir des « briques de connaissance » : son rôle est d’éveiller les esprits pour qu’ils aboutissent à des raisonnements critiques (c’est une approche Socratique, permettant à des idées nouvelles d’éclore).
Dans le cadre de la protection des données personnelles, l’instruction consiste, certes, à comprendre les problématiques pratiques (légalité, licéité d’un traitement de données personnelles), une connaissance précise des termes employés, leurs applications aux différents métiers etc. Mais l’instruction consiste également à saisir le pourquoi et les enjeux sous-jacents, qui irradient dans d’autres domaines que ceux du RGPD et de la Loi Informatique et Libertés : enjeux géostratégiques UE-USA-Chine, propagande, cybersécurité, secret des affaires, problématiques managériales liées à un contrôle abusif des salariés etc.
Éducation :
L’éducation est le dernier maillon de la chaîne, et devrait être sa pierre angulaire. Elle vise à « à assurer à chaque individu le développement de toutes ses capacités (physiques, intellectuelles, morales et techniques) » afin que cette éducation lui permette « d’affronter sa vie personnelle, de la gérer en étant un citoyen responsable au sein de la société dans laquelle il évolue ».
L’éducation est un complément de l’instruction, puisqu’elle permet à la personne instruite d’intégrer et de développer ses capacités à utiliser ses connaissances dans une conscience globale de son environnement, composée d’autres humains aux préoccupations différentes. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Rabelais). C’est le fameux « vivre ensemble », la « conscience de l’intérêt général » ou « l’éthique » qui structurent une société et l’harmonisent pour un avenir commun profitable à tous. Non immédiatement rentable dans les barèmes économiques d’évaluations actuels, l’éducation, si fondamentale pour une société éclairée, est malheureusement souvent négligée.
C’est extrêmement dangereux dans le domaine de la protection des données, aujourd’hui encore en construction. Une vision strictement business, basée sur une énumération de livrables à objectifs courts sans conception générale du danger des enjeux non résolus pour nos sociétés et organisations est potentiellement fatale, au détriment de tous. A terme, c’est donc une perte économique et sociale majeure.
Malheureusement, l’être humain, les entreprises et les organisations ont de plus en plus de mal à se projeter, d’autant plus face à des concepts basés sur l’intérêt général et le temps long : ce défaut est d’ailleurs exacerbée par des technologies de l’information non maîtrisées qui forcent les personnes à la course dans un présent de plus en plus stimulé.
Néanmoins, tout n’est pas obscur en matière d’éducation puisque l’impact d’une carence en la matière est palpable de plus en plus vite, notamment pour les organisations. L’exemple type : un mauvais management, augmentant les tensions dans le monde professionnel et incitant les salariés au départ avec perte et fracas (notamment en volant et dévoilant de la documentation confidentielle ou des bases de données critiques) est un phénomène de plus en plus courant, et de plus en plus dévastateur pour les entreprises. Un management plus éthique, et donc plus éducatif, comme les expériences de démocraties d’entreprise, d’intelligence collective ou d’holacratie peuvent enfin renouer le lien social, et le fameux « vivre ensemble » au bénéfice de tous.
L’éducation est sur le retour, du moins chez les dirigeants éclairés. Affaire à suivre.
Fondateur d’Observantiae

PS : Pour finir en prenant de la hauteur, une vidéo du conférencier Franck Lepage extrêmement intéressante et drôle sur notre système éducatif :