Février 2020 innovation Stratégie

Point de vue : nos problèmes viennent d’une olive

Lorsque l’on pense, dans le cadre de l’entreprise, à la rentabilité économique, une légende se diffuse en toile de fond. Cette toile de fond est aéroportée. Dans cette histoire, il est question d’olives.

La légende de l’olive

Il s’agit de le l’histoire du choix « stratégique » du CEO de la compagnie American Airlines qui, en 1987, aurait permis des économies substantielles à sa compagnie retirant une olive de ses paniers-repas en classe business. Les économies qui en auraient été tirées vont de 40 000 à 500 000 dollars (le record de 500 000$ étant issu du livre « Corporate Creativity : how innovation and improvement actually happens »).

Cette légende urbaine de l’entreprenariat induit en toile de fond l’hypothèse que l’entreprise dispose, dans ses comptes, d’une immense dépense excédentaire qu’il suffirait de découvrir et d’aménager pour que les fonds de roulement de cette dernière se remplissent d’un coup.

Les conséquences de l’olive

La crise aidant, les comités de direction s’attellent, à l’approche des bilans, de dépêcher des armées de consultants spécialisés dans l’analyse des bases de données pour savoir où se trouve la fameuse olive. Est-ce un Droit de propriété intellectuelle payé dans le mauvais pays ? Est-ce une domiciliation d’une filiale au mauvais endroit ? Est-ce des salaires trop importants ? Un trop grand nombre de salariés ? Est-ce le Droit commercial/social du pays en question qui revient trop cher ? Faut-il délocaliser ?

La recherche de l’olive induit le type de calcul suivant : il faut deux minutes à une infirmière pour faire une piqure, si nous en avons 6 pour 30 patients il leur faudrait 10 minutes, ou supprimer 3 postes et faire cette tâche en 20 minutes. Cela peut être ponctuellement un bon calcul, mais cela entraine souvent des risques à moyen/long terme.

L’entreprise est souvent gérée, à partir d’une certaine taille, de manière à limiter les coûts à court/moyen terme. Le PDG d’une entreprise est évalué sur ses « chiffres » et dispose de 2 choix principaux : prendre des risques, innover et potentiellement échouer ou rester statique en faisant de l’optimisation des coûts, i.e de la recherche d’olive. Si l’on cherche à pérenniser son poste, pourquoi prendre des risques inutiles ? Les actionnaires et le conseil d’administration seront impitoyables en cas d’échec et peu enthousiastes en cas de succès. Rajoutez à cela les problématiques de silotage qui rendent la communication difficile entre la hiérarchie et la base opérationnelle et vous avez les germes des conflits futurs.

Les chercheurs d’olives, ces perdants qui s’ignorent

Mais cela va au-delà de ça. Une entreprise à la recherche de l’olive n’innove plus. On en arrive à une situation où, faute de pouvoir se réinventer, ces dernières délèguent souvent l’innovation à des Start-up qui seront rachetées en cas de succès, faute de pouvoir avoir soi-même un département R&D innovant. Pourquoi prendre des risques ? Autant laisser le tri se faire à l’extérieur de l’entreprise et l’intégrer par investissement, « hackathon » ou autre. C’est la logique de l’outsourcing (ou « externalisation« ). C’est oublier que la « Start-up nation » évolue principalement dans un logique de créations de plateformes numériques, jouant la sécurité et se copiant les unes les autres pour « lever des fonds ». Le problème de sclérose est toujours là, en pire, et les entreprises comme la société en payent collectivement le prix.

Comment leur en vouloir ? L’aversion au risque protège sur le court terme et permet de « tenir » suffisamment longtemps individuellement sans être remis en cause. De la vient la puissance de cette légende de l’olive. Elle est peut-être vraie, mais American Airlines ne s’est pas développée en optimisant ses coûts. Elle s’est développée en innovant, en connectant des destinations de plus en plus lointaines, en créant des avions de plus en plus performants etc. C’est cette aversion au risque qui consacre l’immense retard entre les entreprises européennes et américaines. Nous « copions » ce qu’il y a de pire dans l’idéologie américaine, dans l’espoir de faire aussi bien. C’est une erreur. Une erreur politique comme une erreur économique. C’est également une faillite humaine qui entraîne un grand malaise dans nos sociétés. Or, nous avons les clefs pour, au lieu de rogner les os lisses de notre comptabilité, créer des nouveaux projets, prendre de nouveaux risques et explorer de nouveaux horizons, quitte à ce que de l’énergie soit perdue en chemin (l’important est que les gains compensent les pertes).

Les olives dans la nature

Il suffit de jeter un œil à la nature qui fait beaucoup de choses au hasard, voire inutiles. L’être humain a un coccyx, vestige de la queue des singes : c’est inutile, mais c’est le souvenir de l’évolution qui nous a offert la posture debout et l’augmentation de nos capacités cérébrales. On pourrait dire la même chose des lobes d’oreille ou d’autres parties du corps.

Le succès de l’animal « homme » dans la nature vient-il du résultat global de son évolution ou du fait que tout, dans son anatomie, a été rentabilisé ? C’est évidemment la première option qui est la bonne. En revenant à l’entreprise, c’est donc bien un non-sens de chercher à rentabiliser lorsque, finalement, on ne se déplace plus. On ne peut que se scléroser et, à terme, être dépassé sur la gauche et sur la droite tout en perdant la confiance de ses salariés.

Assumer ses olives

Mais alors que faire ? Stimuler les idées, lancer des projets et prendre des risques. Rester intègres et assumer ses actions et idées, même originales. Les compétences de la hiérarchie doivent être évaluées à l’aune de sa force créatrice et de son éthique, et non de ses strictes compétences de gestion.

Nous ne disposons malheureusement pas d’un système de protection suffisant en France pour garantir la sécurité des preneurs de risques, qu’ils soient citoyens ou entrepreneurs (c’est un choix politique dont nous ne débattrons pas ici). Fiscalement, nous sommes trop loin du système américain qui « absout » facilement la personne en faillite personnelle.

Mais une chose est certaine : nous allons perdre collectivement en poursuivant notre « non-direction ».

La stratégie de l’olivier

La question de la vie privée, originalité européenne, est une piste de développement extrêmement intéressante pour axer nos entreprises dans un domaine aussi original que plein de promesses pour l’humanité. On peut le voir comme un coût qu’on analyse par la probabilité d’un contrôle potentiel de la CNIL, d’image ou d’appels d’offres manqués… ou on peut le voir comme une manière de développer des nouvelles solutions et produits capables de concurrencer nos rivaux qui, au niveau de l’innovation comme du chiffre d’affaire, nous surclassent bien trop souvent.

Sun Tzu l’avait écrit dans l' »Art de la Guerre » : il faut imaginer et choisir son terrain et non laisser des adversaires supérieurs en nombre et en moyens nous écraser sur les leurs.

Pierre LOIR

DPO externalisé certifié AFNOR (référentiel CNIL)

fondateur d’Observantiae SARL et initiateur du Réseau Observantiae

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