Stratégie

Comment et pourquoi faire un chiffrage éthique de la charge d’une mission de mise en conformité ?

La mise en conformité d’une entreprise est un phénomène relativement récent. L’explosion des normes dans l’ensemble des secteurs d’activité implique de parfois bouleverser radicalement certains modes de fonctionnement internes sans nécessairement disposer du temps nécessaire pour affecter une personne à temps plein sur un sujet.

D’où la nécessité, dès que l’on dispose d’un budget suffisant, de se faire accompagner, le plus souvent par un prestataire, avant de disposer d’un visuel clair des dispositifs à mettre en place. L’une des questions les plus épineuses (et peu relayée aujourd’hui) concerne le chiffrage de la prestation. Comment le faire de manière juste et équitable tout en respectant les intérêts des parties : le Client comme le Prestataire de bonne foi.

Je vous propose de vous fournir mon constat, basé sur des faits expérimentés concrètement, ainsi que mon approche d’aujourd’hui, bien évidemment toujours perfectible.

Intérêts divergents

Le prestataire gagne à accompagner le plus longtemps possible son client (problématique de la récurrence du Conseil), et le rôle du client est de déceler l’utile de l’inutile pour, à terme, pouvoir mettre un terme à la prestation et « gérer en interne ». Face à cette divergence d’intérêts entre le Prestataire et le Client, une pratique courante est de « chiffrer en jour/homme » chaque action effectuée par le prestataire. Cela « rassure » le client et permet au prestataire de savoir qu’une certaine quantité de jours d’accompagnement a été validée.

La méthode classique, dite des « abaques »

Le chiffrage rassure, mais se base sur une méthode tronquée. Chaque chantier de conformité est aujourd’hui chiffré selon un savant calcul basé sur des « abaques ». Ces derniers font correspondre chaque action envisagée avec une « moyenne de temps de travail pour un collaborateur à temps plein » (le fameux « chiffrage en jour/homme », donc), adjointes de formules de calculs personnalisées selon la structure de l’entreprise.

Exemple : rédaction d’une clause = ½ J/H (jour/homme) * x (nombre de personnes impliquées par la clause) * y (nombre de contrats à revoir) / z (nombre de personnes sur le projet) …

Plusieurs problèmes :

  • Les formules de calcul sont sensées se baser sur une moyenne de prestations sur de nombreuses entreprises pour être valables. Or, à part pour les énormes cabinets, nul ne peut valablement se targuer de disposer de l’expérience suffisante pour établir une formule crédible justifiant ses temps d’action. De surcroit, le gros cabinet est très souvent alourdi par ses process internes et biais liés à ses propres impératifs économiques et sociaux, plus lourds que pour une plus petite structure.
  • Le charge de base du calcul (dans l’exemple ci-dessus : ½ J/H) se fonde sur une estimation totalement subjective, que la masse de calculs qui le suivent font difficilement oublier (et qui peut être modifiée de manière totalement aléatoire par le prestataire selon ses besoins et ses clients)

Faussement scientifique, cette méthode de « grosse structure » ouvre la voie à de nombreuses malversations. Elle permet au prestataire, unilatéralement et sans contestation possible dans le cadre de « réunions à plusieurs », de « charger » inutilement un projet.

Le prestataire n’est pas le seul responsable de cette situation puisque le Client, dans le cadre de manœuvres politiques internes, a parfois besoin de chiffres pour justifier de son budget en Comité de Direction. Il est souvent le premier à demander un chiffrage, même dans des situations où cela n’a aucun sens.

Si le chiffrage a été trop important, la porte est ouverte aux réunions sans objet clair et aux « livrables » vides et enrobés de termes plus ou moins techniques pour faire durer la mission. Inversement : si le chiffrage a été trop réduit (exemple lorsque le Client a eu une influence trop forte sur le prestataire) : les livrables sont mal conçus, potentiellement chargés d’erreurs pour « restituer vite ».

Faut-il arrêter de chiffrer ?

Oui, et non. Oui, car le chiffrage en jour/homme oblige le prestataire à tenir un certain nombre d’engagements, ce qui a un impact extrêmement notable sur sa force de travail.

Mais non, car les méthodes actuelles de chiffrage des chantiers sont ou trop imparfaites pour être valables (voire totalement subjectives). Quoiqu’il en soit elles sont toutes sujettes à des manœuvres douteuses potentielles de la part du prestataire comme du client.

Dans l’intérêt des clients comme de tous les prestataires qui effectuent de bonne foi leurs missions (et ils sont nombreux, quoiqu’on en dise), il est impératif de revoir notre copie et de mettre en place de nouvelles méthodes.

Nombre de prestataires subissent le préjudice d’image du consultant, incompétent et cher, politicien plus que réellement utile dans une entreprise et dont la mission n’aurait pour seul objectif que de servir d’image, particulièrement dans le domaine de la conformité (« Nous avons été suivi par le cabinet X, nous avons donc mis le « paquet sur ce sujet »). Cela crée une importante souffrance au travail et une charge parasite de « mise en danger perpétuelle » du consultant, souvent suspecté à titre préventif (et donc souvent à tort) de mal faire son travail.

L’éthique dans les affaires, une solution ?

Voici quelques éléments de ma méthode. D’abord des mots, puis je vous expliquerai comment contractuellement je m’y prends.

Tout d’abord, le prestataire doit se comporter avec l’entreprise comme s’il en était réellement membre, et avait intérêt autant que lui à ce que son engagement arrive à son terme. Son accueil en interne ne sera pas forcément au beau fixe, et il est traditionnel que certaines entreprises créent une véritable ségrégation entre « internes » et prestataires : les premiers lorgnant le coût des autres (sans réaliser que le prestataire, lui, ne dispose pas de la protection du Code du travail). Il faut donc autant que possible ne pas prendre en compte les messages négatifs en se focalisant totalement sur la réussite de sa mission dans l’intérêt de l’entreprise cliente.

Contractuellement : passer autant que possible, avec le Client et la personne en charge des achats, sur de l’obligation de moyen plutôt que de l’obligation de résultat (je parle toujours ici des missions de conformité, différentes des missions de techniques plus aisément quantifiables). Bien évidemment, il est difficile de dire au Client que l’on ne peut lui fournir de « deadline » sur certains projets. Ses doutes doivent être compris : comment peut-il être sûr que vous vous y consacrez réellement, et qu’il n’est pas en train de dépenser de l’argent inutilement ? Le moyen le plus efficace pour le rassurer : faites un calendrier et des bilans écrits. Dites ce que vous avez fait au jour le jour et/ou (si c’est impossible) un bilan objectif de vos actions en fin de mois. Cela permet de créer de la confiance. Si vous êtes suffisamment pédagogue et transparent (et, bien sûr, cela va sans dire, de bonne foi), il n’y a aucune raison que l’accueil soit négatif.

Mettez tout en œuvre pour que le Client ait bien compris le périmètre de la mission. Exprimez-vous en termes simples, sans « sabir de consultant », de sorte qu’il puisse comprendre, au moins dans les grandes lignes, chaque action que vous mettez en œuvre. N’oubliez pas que le Client est le meilleur juge de votre travail, ainsi que le plus objectif : il a intérêt à ce que cette mission soit un succès, et sa crédibilité est en jeu au sein de son entreprise puisqu’il vous a alloué un budget.

Enfin, si vous devez impérativement chiffrer des charges, au moins quelques chantiers, faites-les en toute transparence. Si vous disposez de la possibilité d’intégrer les collaborateurs pour arbitrer avec eux, au cours d’ateliers communs, le chiffrage le plus objectif, c’est alors un excellent moyen de populariser votre mission.

Une méthode innovante : l’engagement unilatéral

Au-delà des mots, la précarité des missions d’accompagnement crée de la méfiance dans un système sensé reposer sur la confiance. La nécessité d’être parfois plus commercial qu’opérationnel induit mécaniquement un nivellement par le bas. Je m’explique : l’image, particulièrement marketing, d’une mission ou d’un cabinet prime souvent sur le fond, ce qui a tendance à exclure les professionnels de bonne foi et a mettre en avant les comportements de « cowboys du business ».

C’est un cercle vicieux que je propose de minimiser, voire de contrecarrer, dans l’intérêt de tous, par un système que je promeus au sein d’Observantiae (vous pouvez reprendre l’idée, si vous n’en dénaturez pas le fond) :

Constat aujourd’hui : vous êtes liés à votre client par contrat, le contrat de prestation de service, ainsi que probablement par d’autres éléments contractuels type « conditions générales d’achat », un cahier des charges ou divers éléments d’un contrat d’appel d’offre.

Je vous propose d’y adjoindre un document : un engagement unilatéral (c’est à dire venant de votre part et vous engageant exclusivement) éthique qui se superpose à tous les autres éléments de votre mission et précise vos devoirs, vos pratiques professionnelles vertueuses et votre diligence (voire vos idéaux pour le monde professionnel). En clair, c’est un document qui couple valeurs professionnelles et modèle d’organisation. Vous le signez pour le transmettre à votre Client. En le signant, vous vous engagez contractuellement, et un tel document se retrouve invocable par ce dernier en toute circonstance (notamment en cas de contentieux). C’est autre chose qu’un onglet sur un site ou que des mots sur un mur qui ont tendance… à rester uniquement des outils de communication sur un site ou un mur.

Chez nous, nous appelons ce document la « charte Observantiae » ou « système Observantiae » qui est signé et présenté au Client au cours de toute première mission à ses côtés, avec une explication de son fonctionnement au cours d’un déjeuner ou d’un dîner avec le consultant. Jusqu’à présent, une telle démarche a été très bien reçue. C’est un engagement volontaire qui va au-delà du Droit, de la déontologie et du contrat de prestation de service, dans l’intérêt exclusif du Client. De notre côté, il nous permet le confort de la transparence tout en ne dénaturant pas notre ADN (à l’instar de la blockchain, notre Charte est publique et assumée contractuellement ce qui nous offre le meilleur moyen d’en contrôler l’application grâce à (et non contre) nos Clients)

Maintenant, c’est aux Clients de faire leur part et de récompenser ce type de système. Intérêt : restaurer de la confiance dans un monde professionnel de méfiance, et créer un cercle vertueux de missions de plus en plus qualitatives, dans l’intérêt des prestataires de bonne foi comme des missions qu’ils se chargent de remplir. Nous publions régulièrement sur ce modèle dans l’espoir qu’il soit imité et questionné car nous croyons fondamentalement que les clefs de la Société de demain dépendent des choix des entreprises d’aujourd’hui qui sont, et resteront toujours, des communautés de personnes. Vous êtes les bienvenu(e)s si vous souhaitez échanger à ce sujet pour intégrer notre modèle (ou créer le vôtre) : nous sommes inclusifs et mettrons toujours l’accent sur les éléments cardinaux, souvent cités mais trop peu appliqués, de l’éthique professionnelle et de la démocratie.

Pierre LOIR

DPO externalisé certifié AFNOR

fondateur d’Observantiae SARL et initiateur du Réseau Observantiae

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